Période:
Triptyque
Hervé Sornique
technique mixte
Hervé Sornique vit et travaille à Châtellerault. Il enseigne à l’École des Beaux-Arts de Poitiers ainsi qu’à l’École d’arts plastiques de Châtellerault et au Centre de Beaulieu à Poitiers.
Il a exposé un peu partout « aux quatre coins du monde », notamment au salon de la Jeune Sculpture, au Confort Moderne à Poitiers, à On Gallery à Osaka, à Valence (Espagne) et à Brno (Tchéquie), ou encore à la galerie Langage plus à Alma (Québec), à Thouars et récemment à l’Arcuterie à Poitiers.
Dans La Vitrine est présentée jusqu’à début mars 2013 une pièce récente : Triptyque
En 1986 Bernard Lamarche-Vadel dans son ouvrage Qu’est-ce que l’art français ? écrivait « Et si l’on songe à l’art avec l’intention d’en être bouleversé, il faut être, charmé par la détermination avec laquelle l’art, avant de nous regarder, regarde essentiellement l’invisible. »
Définir l’invisible est une question bien trop complexe pour ici s’y attarder, ou si ce n’est de proposer une esquisse de définition – ce qui nous est offert au regard ne recouvre pas seulement l’apparence même, mais un plus de qualité qui prête au regard une attention soutenue. Si nous n’avions seulement à voir que les nuages et le bleu du ciel, nous nous ennuierions bien vite, pourtant nous pouvons passer de longs moments à les contempler, caractérisant de ce fait la présence de l’invisible.
Hervé Sornique développe au sein de cet espace son dessin mais aussi le dessein de sa vie de création. Son travail est constitué d’un incroyable stock de carnets à dessin qui, sans se répondre les uns aux autres, sont autant de marqueurs réflexifs sur l’art. Les pages de ces carnets, au format varié, discutent entre elles, dialoguent. Le dessin dans sa large acception, et notamment dans sa dimension picturale, est sans doute son seul mode d’expression. Il renvoie chez lui, si ce n’est à un amour, à un attachement à l’écrit et au livre en général. Attachement sensible avec les annotations qui parcourent esquisses et dessins, à prendre non comme des essais, mais comme œuvres à part entière. Est-ce sans doute pour cela qu’il travaille aussi sous forme de série, dans le souci de raconter, d’écrire une aventure plastique. Même si tarir le support qui s’offre est aussi une raison prépondérante.
La singularité du dessin est, à mon avis, dans la qualité à l’incomplétude, alors même qu’il offre une apparente finalité. À la différence des autres modes, peinture, sculpture, installation…, il exprime au-delà de sa finitude une modalité inachevée, en cours, une qualité d’invisibilité.
Le travail d’Hervé Sornique se situe dans cet écart entre dessin et dessein, entre la notion de projet et l’idée d’une représentation. Son dessin a bien plus trait à la notion de projet qu’à la représentation. Elle fut un des piliers du mouvement Support-Surface, avec la non-représentation qui conduit peut être à l’invisible de Lamarche-Vadel, celui qui bouleverse.
Hervé Sornique est l’artiste de l’angle, du coin car c’est sans doute le meilleur moyen de se déployer aux quatre coins du monde. Chez lui, Ubu n’est jamais loin. S’intéresser au coin, c’est avant tout s’intéresser à la surface et à l’ensemble des plis et replis qui ne cessent d’en former de nouveaux avec le même dessin répété. En cela, il s’attache aux recherches de Daniel Dezeuze déployant ses échelles de bois souples ou ses châssis nus dont il disait qu’ils étaient « l’équivalent d’un dessin sur table ».
Évoquer les coins de la surface du monde, notamment ceux qui ont vocation à abriter les turpitudes de l’homme – n’est-ce pas là où sont envoyés les enfants pour ranger les leurs ? – avec le dessin, la couleur, bref, en peintre, conduit Hervé Sornique à sortir du coin formel pour explorer ceux plus réels qu’il qualifie de « simagrées ». J’aime ce mot. Il fait partie des mots un peu désuets qui me ravissent à l’instar de réclame, de calembredaine, de pantalonnade…, etc.
Le coin des simagrées, ce sont ces personnages au nez pointu – ersatz de coin – qu’il qualifie du surnom de papes qui n’ont rien d’innocents quand ils sont mis en scène. D’autant plus à Poitiers, ville pieuse et en armes ou le Feydeau (l’Offenbach ?) de « J’aime les militaires » a toujours cours. Le dessin des papes, petits ou grands, dominateurs ou dominés, étalé de façon régulière, envahit l’espace de la galerie devenu celui de la représentation où se succèdent des scènes qui en disent long, au-delà des situations cocasses, dans un second degré tout à l’opposé d’un Jacques Faisant qui n’a jamais fait rire ni penser personne – si oui, on veut des noms – tant le dessin était la copie conforme d’une vision du monde hélas bouchée.
Si « l’art regarde essentiellement l’invisible », et juste avant notre simulacre de monde bien ordonné, nous ne devons surtout pas souhaiter être à sa place. Soyons heureux d’accéder à l’invisible par le truchement de l’artiste. Christian Garcelon