Nous étions une petite vingtaine pour cette expédition en Pays Basque pendant les vacances d’automne, attirés à la fois par une relative proximité, le dynamisme d’une contrée rendu visible par l’ « effet Guggenheim », la promotion de Saint-Sébastien en capitale culturelle européenne, et par la douceur du climat.
Première étape en pays basque du nord pour visiter La Littorale, biennale d’art contemporain d’Anglet ; cette 6ème édition placée sous l'égide du critique et historien d’art Paul Ardenne se déroulait d’un bout à l’autre de la plage d’Anglet, de la Chambre d’Amour à La Barre. Accompagnés par Claire, médiatrice, nous avons entamé un parcours parsemé d’œuvres intimement liées à la plage par le côté ludique, comme le Terrain de sport de Benedetto Bufalino où enfants et adultes peuvent sauter, grimper, courir, ou Floride de LaurentFerbos, groupe de palmiers kitsch constitués de matériaux « de plage », frites colorées en caoutchouc, seaux, bouteilles : une pièce que nous avions déjà vue à la Villa Datris de L’Isle/Sorgue (exposition Sculpture du Sud, 2014) mais qui provoque toujours autant de plaisir au spectateur touriste estival.
Plus grave, l’installation lumineuse du poète-plasticien écossais Robert Montgomery créée avec ses propres mots qui donnent titre à l’œuvre, Nos villes redeviendront sable, réflexion à la fois utopiste et menaçante. Avec ses vidéos projetées dans un container accessible à tous, l’australien Shaun Gladwell établit un pont entre les océans et en porte la dimension romantique. Art-Nomad, collectif d’art participatif du Limousin, présentait en surplomb de la grotte de la Chambre d’Amour, lieu d’une triste et belle légende, une structure métallique en forme de cœur ajouré permettant de déposer messages et ex-voto à la gloire de l’amour, de la félicité et de la création joyeuse. Plus loin en haut de la plage des corsaires, Django, le totem en plâtre de Fabrice Langlade invite à regarder le ciel et les nuages. Un ensemble d’autant plus sympathique que le soleil était au rendez-vous et rendait la balade au bord de l’eau délicieuse !
Un soleil que nous retrouvions dès le lendemain à Saint-Sébastien. Ici, le titre de capitale culturelle ne parait pas aller de soi : Donostia de son nom basque poursuit une programmation plus locale axée autour du vivre-ensemble. Commençons par Tabakalera, un centre culturel implanté depuis l’année dernière dans une ancienne usine à tabac, cinq étages et une terrasse permettant d’embrasser la ville et la baie d’un coup d’œil. Et des expositions disséminées dans les étages, comme ces deux installations suite à résidences, l’une, sonore, de Ryoji Ikeda, l’autre, plastique, de William Forsythe où certains de nos participants ailés pouvaient entamer un parcours de chorégraphe ! Mais surtout Histoires partagées ou le XXème siècle dans la Collection Kutxa : une première approche de l’art et des artistes espagnols contemporains, du postimpressionnisme au groupe basque Gaur (Chillida, Oteiza…) en passant par l’après-guerre civile.
Des artistes que nous retrouvons pour certains au Musée San Telmo, haut lieu de la culture basque ; ce couvent dominicain superbement restauré accueille en particulier dans l’église l’ensemble monumental des peintures Elégies du peuple basque réalisées pour le lieu par José Maria Sert. Impressionnant ! Quelques esquisses et maquettes nous font pénétrer l’atelier de l’artiste pour montrer sa manière originale de travailler. La collection historique du musée effectue un parcours à travers l’art du XVIème au XIXème : Le Greco, Le Tintoret, Ribera, Rubens, Fortuny…
Sans doute certaines galeries ou centres culturels ont-ils été enclins à profiter du soleil et de la mer… et à fermer leurs portes inopinément ; on peut regretter aussi que DonostiaKultura n’ait pu ouvrir Chillida-Leku qu’une seule journée dans l’année (maison/atelier/musée/parc de sculptures de Chillida à Hernani, banlieue de Donostia : un lieu magique !). Heureusement Donostia ne manque pas d’œuvres installées en plein air. En premier lieu bien sûr Le Peigne du Vent de Chillida devenu l’emblème de la ville, à un bout de la baie, accroché au rocher de façon quasi organique, toujours très impressionnant pour qui n’a pas peur de se mouiller ; et Construction vide d’Oteiza de l’autre côté au pied du Mont Urgüll, qui au contraire refuse toute émotivité mais joue avec l’espace et le soleil comme une construction mégalithique (Stonehenge ?) ; mais aussi la Pieta d’Oteiza sur le mur de l’église St-Vincent, Hommage à Fleming de Chillida sur le paseo de la Concha ; Estela de Ugarte place du Centenaire, ou encore Dove of Peace de Basterretxea près du stade d’Anoeta…
Cherchant le vivre-ensemble, axe majeur de notre capitale culturelle, nos amateurs ailés se sont retrouvés à la cidrerie Beharri : une tradition locale bien vivante pour un diner bien arrosé, Donostia a peut-être fait le bon choix !
Dernière étape, Bilbao et son célèbre Guggenheim Museo ! Mais pour commencer, c’est le Musée des Beaux-arts de la ville que nous avons visité en premier lieu, question d’horaire d’ouverture plus matinale. Est-ce l’effet Guggenheim ? Le musée des beaux-arts a subi une cure de rajeunissement dans la forme (le bâtiment lui-même est entouré de sculptures en plein air de Serra, Chillida, Oteiza…) et complète sa collection permanente, déjà riche de plus de 10 000 œuvres, d’expositions remarquables.
Ainsi la rétrospective consacrée à Carmelo Ortiz de Elgia. Dans les années cinquante sont apparus des collectifs d’artistes d’une grande importance, puisqu’ils se sont formés sur les critères de valorisation les plus novateurs à l’époque comme la prépondérance de l’abstraction, et la revendication, politique et artistique, de l’identité basque et de l’archaïsme ; le groupe Gaur a ainsi été créé par Chillida, Oteiza et Basterretxea, tandis que Carmelo Ortiz a co-fondé Orain. Nous avons retrouvé le soir des œuvres récentes de Carmelo Ortiz de Elgia à la galerie Lumbreras. Autre exposition qui a marqué nos voyageurs, 1937, Sobre Gernika, guerra y civitas : présentation du contexte, travaux préparatoires et processus de création, et enfin influence sur la vie artistique lors des pérégrinations du chef-d'oeuvre de Picasso jusqu’à ce qu’elle trouve sa place à Madrid.
La collection permanente recèle aussi bien des trésors, du Moyen-Age à l’époque contemporaine ; en ce moment elle accueille en plus l’étonnante crèche réalisée par Salzillo au XVIIIème siècle.
C’est toujours un choc d’arriver à proximité du Musée Guggenheim et de découvrir l’architecture de l’édifice, changeant en fonction du soleil et de la lumière. L’évènement en ce moment, c’est l’exposition Francis Bacon, de Picasso à Velasquez, une sélection de cinquante peintures considérées comme les plus importantes et attrayantes de Francis Bacon, en regard d’une trentaine d’œuvres de divers maîtres classiques et modernes qui influencèrent sa carrière (exposition présentée cet été à Monaco). Pour la plupart d’entre nous, ce fut une redécouverte de l’artiste et de son œuvre. Outre les pièces maîtresses de la collection permanente (Serra, Jenny Holzer, Louise Bourgeois, ou l’incontournable Jeff Koons…), le musée présente aussi des expositions de moindre envergure mais d’intérêt, comme la délicieuse installation video Soupir de Sam Taylor-Johnson.
Ce bref séjour à Bilbao a été l’occasion de visiter plusieurs galeries toutes différentes mais témoignant de la vitalité et de l’énergie des basques et de la ville. Hassan qui nous a accueillis chaleureusement a ouvert la MH galerie il y a peu de temps, alors que la crise provoque plutôt des fermetures ! La politique de la galerie est une politique d’ouverture, l’exposition actuelle en témoigne : les oeuvres de quatre artistes d’origine et parcours différents sont présentées en regard deux à deux et invitent à une véritable réflexion entre elles ; l’enthousiasme d’Hassan (qui participe avec la galerie au prochain festival d’arts graphiques de Bilbao, un évènement dans le domaine des arts sur papier) et un sens inné de l’accrochage compensent la taille modeste de la galerie.
Tout au contraire, la galerie Lumbreras qui accueille les travaux des 4 dernières années de Carmelo Ortiz de Elgia est assez vaste pour cette présentation de grande qualité ; d’ailleurs Juan Manuel Lumbreras se montre confiant.
La responsable de la galerie Vanguardia, la plus ancienne, avait invité l’artiste présentée actuellement, Rut Olabarri, à rencontrer nos amateurs, ce qu’elle a fait avec beaucoup de gentillesse ; son travail s’inspire des mythologies basques, on y retrouve des éléments d’art populaire de tout le pays basque ; elle présente ici des dessins et des céramiques délicates dont la cuisson est réalisée dans le four d’un atelier municipal.
La galerie Kalao est en fait un atelier de reliure : le premier espace dans lequel on entre accueille en ce moment des œuvres d’Amadou Tounkara, plasticien sénégalais qui partage son temps entre Dakar, le Japon et la France ; au fond de la petite galerie on pénètre dans l’atelier qui est aussi la réserve de la galerie et renferme des toiles, objets et images venues des quatre coins de l’Afrique, sous le regard bienveillant des relieuses.
Toutes différentes, et pourtant les responsables ont compris que seul un partenariat permettra un développement : la plupart des galeries sont inscrites dans un réseau de communication, Bilbao Art District qui concourt à faire aussi de Bilbao une capitale culturelle.
Faute de temps, peu sont allés visiter d’autres galeries, la plupart se sont contentés d’une petite promenade à Azkuna Zentroa, centre de loisirs et de culture moderne installé dans l’ancien grenier de la ville (édifié par Ricardo Batista en 1905) réhabilité par Philippe Starck : 43 piliers tous différents, un plafond de verre qui est aussi le fond de la piscine… Mais tous ont ressenti l’énergie vibrante de la ville et le dynamisme de ses habitants.