Les Ailes du désir en collaboration avec les Beaux-arts, école d’arts plastiques de Grand Poitiers, ont proposé fin mai un voyage à la fois dans l’espace et dans le temps, dans les pays du Nord et dans l’histoire de l’art du Moyen-âge à aujourd’hui. Dans l’autocar qui nous emmenait de Poitiers à Gand, Jean-Luc Dorchies (directeur des Beaux-arts et professeur d’histoire de l’art) a resitué pour la trentaine d’amateurs ailés le cadre de ce voyage qui partait de la ″renaissance″ des formes artistiques après le Moyen-Âge (que nous devions découvrir à Gand avec le retable de l’Agneau mystique des frères Van Eyck), jusqu’aux productions récentes en passant par les mouvements symbolistes et expressionnistes qui marquent l’art de ces régions au XIXème et XXème siècles.
Première escale donc à Gand, où nous commençons par le SMK et le SMAK, les deux musées d’art de la ville, l’un contemporain, l’autre historique : premier étonnement, œuvres ″classiques″ et contemporaines sont présentées souvent en correspondance, les pièces de Patrick Caeckenbergh par exemple côtoyant des primitifs flamands : le parcours du musée est organisé comme notre voyage, De Bosch à Tuymans ! En passant par les fameux symbolistes belges comme Ensor, Spillaert ou Permeke, jusqu’à l’une des grandes œuvres de Luc Tuymans, The Arena. Et puis en attendant de voir en vrai dans la cathédrale St-Bavon le retable de l’Agneau mystique, nous apprécions de regarder le travail de restauration qui se poursuit au musée sur les derniers pans de l’œuvre en atelier de restauration.
Le musée d’art contemporain présente des œuvres de référence - Wirtschaftswerte de Beuys, Arms and legs de John Baldessari, des pièces de Jim Dine, Bruce Naumann, David Hammons, Bacon - en même temps que l’occasion plutôt rare de découvrir des artistes flamands ou néerlandais d’envergure, Marcel Broodthaers, Wim Delvoye, ou Panamarenko, ce fou d’aviation ; Berlinde de Bruckère (dont l’œuvre présentée est accompagnée de quelques beaux dessins), de beaux portraits de Marlène Dumas…
Quittons les musées pour rejoindre la cathédrale : la ville présente de beaux exemples d’architecture flamande dans laquelle s’intègrent avec bonheur des édifices contemporains, la bibliothèque ou l’impressionnante halle. Au passage, au détour d’une rue ou d’une place, une fresque murale inopinée : Gand inspire les artistes du street art, une soixantaine au moins sont recensés.
Enfin les amateurs ailés sont devant le fameux Retable de l’Agneau mystique : aidés par les commentaires de Jean-Luc Dorchies qui répond avec sollicitude à leur questionnement, ils prennent conscience de l’importance de l’œuvre qui représente un véritable tournant dans l’histoire de l’art : l’artiste s’est attaché à une représentation au plus près de la réalité, en témoignent le traitement des visages qui deviennent de véritables portraits individualisés, des paysages extrêmement détaillés avec la richesse de la végétation dont Van Eyck avec quelques autres invente le genre, ou du ciel dont apparait la transparence grâce à l’utilisation de la peinture à l’huile dont l’invention lui est attribuée.
Deuxième étape, Amsterdam. Le Rijksmuseum est devenu un des plus grands musées du monde depuis sa réhabilitation ; en cette année Rembrandt il présente en outre une exposition pour laquelle est sortie l’ensemble des œuvres de l’artiste de la collection du musée. Mais petit incident dans l’accompagnement du voyage, et la plupart des participants n’ose aller retirer la contremarque pour visiter l’exposition à l’heure de la réservation contractée pour le groupe ! Qu’ils se consolent : ceux qui ont visité l’exposition ont souffert de la fréquentation trop dense, malgré la régulation opérée par le musée, pour voir de près les très petits formats des dessins et gravures exposés. Et les œuvres emblématiques sont accrochées à leurs cimaises dans le musée, de la Ronde de nuit aux autoportraits de l’artiste. Les amateurs ailés apprécient de voir les chefs-d’œuvre du siècle d’or, de Rembrandt bien sûr à Vermeer ou Frans Hals, qu’ils connaissaient par la voie de reproductions (le musée ayant été longtemps fermé pour rénovation), et d’en découvrir de nouveaux grâce à l’accompagnement de Jean-Luc Dorchies ; à l’heure de la fermeture du musée, tous sont fatigués mais frustrés de ne pas en avoir vu davantage !
Le Stedelijk museum visité ensuite réunit les collections d’art moderne et contemporain de la ville ; devant le bâtiment alliant une extension résolument contemporaine à un édifice traditionnel se dresse une sculpture de Richard Serra ; à l’intérieur on retrouve des œuvres de grands artistes internationaux des XXème et XXIème siècles. Les expositions temporaires permettent de découvrir l’artiste Jacqueline De Jong dans ce parcours Magicien de Flipper, ou les œuvres réunies sous le vocable Sculpture hybride (malgré une petite déception devant l’œuvre de Thomas Hirschhorn, Neighbours, pour ceux qui connaissent son travail à Venise en 2011 ou au Palais de Tokyo en 2014), ainsi qu'une extraordinaire rétrospective de Maria Lassnig (1919-2014) .
Dernier musée ouvert à Amsterdam, le MOCO-Museum, musée du street art appelé aussi musée Banksy du nom de l’artiste qui a vivement soutenu cette fondation privée. Dans cette maison de ville charmante édifiée en 1904 sont exposées des œuvres des « rockstars » de l’art contemporain, Banksy en premier lieu, Daniel Arsham, et en ce moment Yayoi Kusama : une joyeuse récréation, que d’aucuns trouvent même futile… !
Dernière escale en plat pays, La Haye ; avant d’aborder la ville, arrêt juste avant pour la visite de la fondation privée de Voorlinden : un superbe écrin édifié par Dirk Jan Postel en 2016, laissant au maximum passer la lumière zénithale dans les salles d’exposition, et la plus grande collection d’art contemporain privée aux Pays-Bas. Un cadre lumineux pour des œuvres certaines bien connues, comme celles de Yayoi Kusama, décidément très en vogue aux Pays-Bas en ce moment, Jean-Pierre Raynaud, Bernard Aubertin, Michel François, Mona Hatoum, les mini-ascenseurs de Maurizio Cattelan ou l’escalier rouge en gaze de Do Ho Suh… Et un pique-nique au soleil pour couronner le tout !
La Ville de La Haye dispose de deux musées voisins, le Gemeente museum et le GEM/Fotomuseum ; le premier est doté d’une belle collection moderne allant de Monet à Bacon en passant par Redon, Picasso, Kandinsky, et surtout Mondrian : ici ce n’est pas la Ronde de nuit qui crée l’évènement, mais Victory Boogie Woogie, la dernière œuvre abstraite de l’artiste. Pour la partie contemporaine, on retrouve les grands noms de l’art contemporain, avec les surprenants nuages de Louise Bourgeois, Blanche-neige et le bras cassé de Marlène Dumas, Immersions de Andres Serrano…Le GEM présente aussi en ce moment une remarquable exposition d’Erwin Olaf, un des plus grands photographes néerlandais actuels : l’engagement du photographe ne l’empêche pas d’être aussi un artiste de commande (portraits de la famille royale…) qu’il traite avec les mêmes qualités, en particulier de grandes impressions couleur numériques qui laissent percevoir le moindre détail ; au GEM/Fotomuseum l’exposition se poursuit avec des tirages argentiques (la plupart originaux) plus anciens mais où la profondeur des noirs laisse pantois. La collection permanente du GEM/Fotomuseum comporte par ailleurs des œuvres qui constituent un panorama de la photographie contemporaine (avec par exemple l’autoportrait de Mapplethorpe) ; le musée présente aussi diverses expositions : Marwan Bassiouni et ses Nouvelles vues néerlandaises, ou Hipster/ Muslim, étonnante série de portraits de jeunes des quartiers du collectif Get Me.
Pour finir notre périple, un bijou, le Mauritshuis museum : ce petit palais situé à un emplacement de choix, au bord de l’eau et au cœur de La Haye renferme plus de deux cents chefs d’œuvre ; malgré les travaux d’extension et de rénovation, le parcours de visite reste à taille humaine et permet un contact privilégié avec les œuvres, même de taille réduite comme Le Chardonneret de Carel Fabritius, ou très grandes comme Le Taureau de Paulus Potter offrant au spectateur l’occasion d’un face à face avec l’animal. Et bien sur les incontournables, la Jeune fille à la perle et la Vue de Delft de Vermeer, la Leçon d’anatomie et l’Autoportrait de Rembrandt, ou encore Le Paradis terrestre pour lequel ont collaboré Rubens et Brueghel de Velours, témoignage d’une activité artistique collaborative foisonnante à l’époque.
Au retour les images se bousculent dans les têtes des amateurs ailés ! Avec quelques constantes : l’ouverture au monde et les échanges entre les artistes qui ne se démentent pas quelle que soit l’époque, phénomène attendu dans un plat pays bordé de ports ; l’attention au détail et la représentation de la vie ordinaire voire naturaliste quel que soit le thème (petits personnages se promenant sur un chemin dans le Retable de l’Agneau mystique ; agression et cruauté dissimulées dans une image du presque rien, une banale promenade chez Luc Tuymans…). Mais il nous faudra un peu de temps maintenant pour que la mémoire repère et classe tous ces souvenirs !