Article du carnet de bord

Les parapluies de Melle

Mineurs ailés de I.Grubic à Melle

Par un samedi pluvieux de 22 juin, Les Ailes du désir se sont rendues à Melle où se déroulait l’inauguration de la Biennale internationale d’art contemporain.

Malgré quelques défections dues à une météo alarmiste, une vingtaine de courageux se sont retrouvés pour le pique-nique à l’ombre du kiosque de la place principale, rejoints en début d’après-midi par une quinzaine d’adhérents un peu moins téméraires.

Dès notre arrivée à Melle, nous avons été accueillis par les anges d’Igor Grubic (Angels with dirty faces, 2006/2013), photographies de mineurs serbes ailés accrochées aux parois des halles,

Clin d’œil à Wim Wenders et au nom de notre association qui nous plaçait en terrain de connaissance… A la faveur de la position stratégique de la ville de Melle, nous avons eu le plaisir de retrouver des amis de Niort, Nantes,ou La Rochelle, venus pour la circonstance gonfler les rangs des poitevins.

Discours officiels permettant de présenter les nombreux artistes présents, performance incantatoire de

Serge Pey chaleureusement applaudi, remerciements divers et variés, on ouvre les parapluies et en route pour le parcours inaugural. Toutes les œuvres mériteraient d’être citées, pour les randonneurs ailés nous n’en retiendrons que quelques-unes.

Christian Jaccard, première œuvre visible sur ce parcours, réalisée in situ dans le pigeonnier rénové du Chemin de la Reine, a su intégrer l’espace mis à sa disposition en le tapissant de ses signatures enfumées ; gageons que dans le pigeonnier aujourd’hui déserté, les locataires roucoulants effrayés par l’odeur du xylophène retrouveront vite le chemin de leur résidence.

Les totems de Christian Lapie émaillent la prairie en redescendant sur la ville, mais c’est surtout le trio du pré de la Maladrerie, Le feu inventé qui séduit les visiteurs : l’œuvre est particulièrement adaptée à son environnement, composant avec les grands arbres une image forte. Chaque édition de la Biennale pose évidemment la question de la relation entre l’œuvre et son environnement ;

C’est aussi la question que se pose Felice Varini dans chacune de ses créations ; ici dans le quartier Saint-Hilaire, son œuvre n’a pas le caractère monumental qu’on lui connait d’habitude, comme à Saint-Nazaire ou Genevilliers, mais ses courbes disposées sur les façades des maisonnettes fleuries du quartier confèrent à celui-ci une nouvelle jeunesse ; c’est là sans doute l’une des œuvres marquantes de cette Biennale.

L’hôtel de Ménoc renferme la plupart des œuvres « d’intérieur » ; nous y retrouvons Serge Pey avec ses bâtons de pluie et ses dessins où le graphisme accompagne la littérature, fil conducteur de cette édition parrainée par Jacques Villeglé : l’artiste bien connu des poitevins pour ses palissades et ses aphorismes a réalisé une série de dessins en hommage au poète mellois René Ghil (l’un d’eux a d’ailleurs rejoint La Vitrine des Ailes du désir à Poitiers pour la durée de la Biennale) ; il a aussi placé à l’entrée de la ville une palissade où s’étale cette devise d’E.A. Poe, bien utile en ces jours de crise, Etre étonné, c’est un bonheur. D’autres aphorismes sont signés Antoine Emaz et, avec le concours de Pascal Colrat, se glissent dans la ville au gré des parcours, comme La poésie dit ce qu’elle peut d’un homme qui fait ce qu’il peut pour être humain.

Pas de peinture cette année à Melle, mais des photos, des vidéos, et quelques dessins. Tendance de l’art contemporain que nous avions remarquée à la documenta de Kassel et dans diverses biennales voici une dizaine d’années, mais qui semblait avoir pris du recul avec ces derniers temps un retour à la peinture, quitte à ce qu’elle soit réalisée à partir d’outils numériques. Les bandes vidéo diffusées à Melle ne provoquent guère d’étonnement. La plupart privilégient la trace de l’évènement :

Fanny Guérineau par exemple, actuellement accueillie dans les ateliers d’artistes de la Ville de Poitiers, enregistre et témoigne de ses performances. La virtuosité du pape de l’art vidéo, Bill Viola, dont The Lovers est présentée dans l’église St-Pierre, contraste par la qualité de l’image. On a regretté que l’œuvre soit présentée dans un format trop étroit pour que le spectateur puisse s’immerger dans le torrent tumultueux ou le feu dont l’artiste émaille chaque création ; mais la technique fondée sur le ralenti induit une perfection de l’image à la limite de la perception de l’œil du spectateur et provoque une sorte de vertige.

Autre vidéo que les amateurs des Ailes ont retrouvé avec plaisir, DeadSea, de Sigalit Landau, présentée en 2011 à la Biennale de Venise et en 2008 au MOMA de New-York : une spirale de 500 pastèques dans laquelle s’est glissée l’artiste israélienne et qui se déroule avant de disparaitre emportée par le sel de la Mer morte. La beauté plastique des images ne peut faire oublier L’angoisse de la disparition, le manque, l’absence.

Motoi Yamamoto a réalisé pour cette édition une installation monumentale dans l’église St-Savinien, Floating garden : immense labyrinthe dessiné au sol avec du sel, ce jardin flottant retournera à la mer à la clôture de la biennale.

Guillaume Bruère, jeune artiste poitevin installé à Berlin, a réalisé une série de portraits de mellois ; le geste, rapide et précis, pourrait s’apparenter à de la caricature, tant le dessin met en évidence le caractère de l’individu ainsi portraituré ; au contraire, la délicatesse du trait et la fragilité de la forme définissent un instant éphémère dans lequel les mellois se retrouvent partie prenante : des « portraits négociés » en quelque sorte.

En passant par Arles en juillet, nos amateurs ont pu retrouver la même sensibilité dans les portraits non d’anonymes, mais de Van Gogh, que Guillaume a réalisés pour la préfiguration de la Fondation Van Gogh avant sa prochaine installation dans l’Hôtel Leautaud de Donines.

Difficile d’évoquer toutes les œuvres présentées lors de cette Biennale qui réunit pas moins de 32 artistes ; chaque visiteur des Ailes les a appréciées à l’aune de sa propre histoire et de ses références personnelles.

Dans tous les cas, elles ont suscité intérêt et curiosité, et le désir de revenir à Melle cet été par une belle journée ensoleillée !