Bien sûr, on s’attendait à un changement d’ambiance vu le contexte sanitaire ; mais s’ils ont été moins nombreux cette année que d’habitude, nos amateurs ailés ont été ravis de retrouver enfin le public des spectacles et de rencontrer des artistes qui n’ont pas perdu leur énergie pendant cette période de crise. Quelques petits inconvénients, deux ou trois spectacles annulés mais remplacés, un pass sanitaire devenu obligatoire en cours de festival, tout ceci n’a pas entamé l’enthousiasme des spectateurs ! Il faut dire qu’il y a eu quelques compensations : un peu moins de foule dans les rues du vieil Avignon, un programme « off » allégé (un millier de spectacles au lieu de 1600) et un peu moins de chaleur rendaient le séjour plus agréable.
Les Ailes du désir ne souhaitant pas imposer une sélection parmi tous les spectacles « off » même lorsqu’il n’y en a qu’un millier, invite exclusivement à des spectacles du festival « in » les amateurs qui sont libres de leurs choix dans le « off ».
On attendait beaucoup de La Cerisaie de Tiago Rodrigues (nouveau directeur du Festival à partir de 2022) dans la Cour d’Honneur ; est-ce l’utilisation d’un plateau aussi grand pour une pièce aussi intimiste ? Le spectacle n’a pas suscité un enthousiasme délirant, même si le décor minimaliste et la diversité d’origine des acteurs à la façon de Peter Brook, et l’énergie des acteurs dont Isabelle Huppert, rendaient l’ensemble sympathique. Second spectacle dans la Cour, de la danse comme le veut la tradition depuis Vilar et Béjart, avec Sonoma.
On attendait beaucoup aussi de Y aller voir de plus près, le spectacle de la grande chorégraphe Maguy Marin, l’une des personnalités du renouveau de la danse contemporaine à la fin du 20ème siècle, qui nous a surtout déconcertés : pas de danse, mais du théâtre et de la musique à partir du texte de Thucydide sur la guerre du Péloponnèse, et en deux heures difficile de s’y retrouver entre les cités grecques des athéniens, des lacédémoniens, des corcyréens ou des corinthiens… Tenter (en vain !) de rappeler ses souvenirs scolaires empêche d’établir le parallèle avec des situations actuelles. Brett Bailey (dont Exhibit B avait été présenté à Poitiers en 2013) revisite lui le mythe de Samson : malgré le choc esthétique que provoque cette dernière pièce, nous avons été submergés là aussi par le foisonnement de propos divers qui brouille les pistes. Emma Dante avec Misericordia a su, quant à elle, provoquer l’émotion sans détour.
Mais les propositions accessoires du Festival produisent aussi de grands moments : les « lectures « de France Culture sur les transats de la cour du musée Calvet, celles de RFI ou encore le feuilleton Hamlet à l’impératif ! conçu par Olivier Py pour sa dernière édition de directeur du Festival. L’occasion par exemple d’entendre et de voir Fabrice Lucchini se battre contre les vents et vaincre le mistral ! L’une d’entre nous a vu à la Chartreuse de Villeneuve, partenaire du festival, Royan – La professeure de français (de Marie N’Diaye, mise en scène de F. Bélier-Garcia avec Nicole Garcia), qui sera présenté à La Coursive de La Rochelle en octobre prochain,
A noter : le festival off a profité de cette longue pause pour se réorganiser ; la direction en est assurée maintenant par Sébastien Benedetto, représentant historique du théâtre des Carmes ; les théâtres les plus importants – et les plus solides - ont absorbé les plus petits ; c’est un avantage pour le public, qui se retrouve plus facilement dans le programme, sans doute moins pour les artistes et les équipes de création qui souvent ne peuvent assumer les charges de lieux devenus quasi-institutionnels. Nos amateurs ont réalisé une belle moisson de spectacles divers dans ce programme « off » : de No way Veronica (créé à Poitiers il y a une dizaine d’années !) qui poursuit toujours sa route à la création poétique de Le Cabaret des absents, de François Cervantes, en passant par L’homme qui tua Mouammar Kadhafi, qui suscita des avis partagés : mais le théâtre documentaire, dont Superamas s’est fait une spécialité, est peu usité en France et cette tentative mérite d’être encouragée (au même titre que Rimini Protokoll, équipe internationale basée en Suisse spécialiste du théâtre documentaire). Morphine, passant du documentaire à la fiction en s’appuyant sur Morphine et récits d’un jeune médecin de Mikhaël Boulgakov, a été très apprécié de tous ceux qui l’ont vu.
Et puis il y a aussi les expositions : celle, impressionnante, de Yan Pei-Ming, dans la Grande Chapelle du Palais des Papes et à la Fondation Lambert (une des premières expositions de l'artiste avait été présentée à l'Ecole des Beaux-arts de Poitiers), et celle de Théo Mercier à la Fondation Lambert ; la Fondation Lambert donne aussi carte blanche à Loris Gréaud qui retourne l’invitation à Yvon Lambert pour créer une exposition à partir d’œuvres de la collection, et présente aussi des expositions du photographe Jerome Taub, de Laurence Weiner et de Mimosa Echard.
Pas de séjour en Avignon sans une journée à Arles pour les Rencontres photographiques. Cette année, l’évènement est collatéral puisque la Fondation Luma inaugure la Tour Gehry : le monument imaginé par l’architecte domine la ville et comporte aussi des salles d’exposition ouvertes pour l’occasion aux œuvres de la collection : l’occasion de voir ou revoir des installations de Pierre Huyghe, Anri Sala, Christian Marclay (The Clock), Ian Cheng, Philippe Parreno, Dominique Gonzalez-Foerster… Les Rencontres présentent comme à chaque édition un large panorama de la photographie, depuis une rétrospective consacrée à Sabine Weiss jusqu’à la photographie « de jazz » avec les images réalisées pendant vingt ans pour Jazz Magazine, ou le photomontage avec Charlotte Perriand, ou encore des exemples de photographie « sociale » comme celle de Dieter Hugo ou expérimentale comme Almudena Romero.
Prendre l’air à Arles en plein festival d’Avignon, c’est une agréable récréation, comme la Fondation-Villa Datris à L’Isle-sur-Sorgue : pour le 10ème anniversaire de ce lieu d’exposition bucolique, la fondation propose une rétrospective des œuvres emblématiques de la collection : nous y avons retrouvé des sculptures de Marinette Cueco, Harald Fernagu, Céline Cleron, Miguel Chevalier, Odile Decq, Jean Dewasne, Daniel Dezeuze, Sheila Hicks, Joana Vasconcelos… Une collection équitable avec des artistes célèbres ou émergents, et de nombreuses artistes femmes, normal puisque Danièle Kapel-Marcovici qui l’a créée a aussi créé la Fondation Raja pour soutenir des projets en faveur des femmes dans le domaine de la solidarité, de la santé et de l’éducation.
Un festival quasi-normal en somme, si ce n’est avec un public masqué et la présentation d’un pass sanitaire dans la Cour. Mais on oublie vite ces inconvénients tant les émotions se bousculent dans nos yeux et notre tête. L’année prochaine si tout va bien, nous serons sans doute plus nombreux à y prendre part !
Merci à l’équipe du festival toujours attentive à nous proposer les meilleurs programmes, et aux provençaux qui mettent leurs studios à disposition pendant le festival et nous permettent de courir d’un spectacle à l’autre sans difficulté !